Le jour de Judas

La talentueuse Élisabeth, rédactrice de Survivre au Chaos, nous propose une histoire Fiction bien dans l’air du temps. Vous avez lu ou relu Aldous Huxley (Le Meilleur des Mondes) ou Georges Orwell (1984), vous y avez constaté la troublante réalisation des évènements que nous vivons ? Vous allez adorer cette nouvelle qui n’est que « délire » d’auteur à l’imagination débordante. Oui mais, et si on se remémorait les commandements des Georgia Guides Stone ? Et si on faisait le bilan de l’état de la planète ? Des milliards d’humains à nourrir ? Du changement du climat ? Et si on admettait enfin que nous avons atteint le PNR ? (Point de Non Retour). Il faut trouver des solutions. Cette fiction filera la frousse à plus d’un, mais, pas de panique ce n’est que de la fiction……. Peut-être ! La situation est désespérée mais tout n’est pas perdu. Préparez vous !!

*******

Par Élisabeth pour Survivre au Chaos

Et si tout ce dont nous avions peur n’était pas tout à fait faux ? Une Nouvelle dans l’air du temps…

Avertissement : ce récit est une œuvre de pure fiction. Par conséquent toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Elise saisit sa tablette et consulta son agenda électronique, c’était vraiment une très grosse journée et comme tous les mercredis, elle ne s’appartiendrait pas… 10h00 Laurette allait faire du poney au centre équestre, 14h00 il fallait emmener Jules chez le coiffeur pour la rentrée et aller chez Kiabi pour prendre du stock, 18h00 RdV en express chez le médecin pour faire renouveler sa Ventoline. Elle gratta machinalement son nez et vérifia dans la foulée si les masques étaient tous à leur place dans son sac à main : ouf, tout était OK ! C’était sans compter avec le repas de ce soir et les copains du club de tir : 8 personnes à table, tous des allumés du 12 qui complotaient contre les dernières mesures gouvernementales et criaient à l’agonie sociétale. Elise souffla – tout à fait exaspérée – c’est certain, ils allaient liquider un pack de bière et 3 énormes pizzas XXL en refaisant le monde et comparant les performances de leurs 9 mm respectifs.


Pourtant la société les avait protégés, tous protégés ! La plupart avaient perdu leur travail en 2020 à cause de la crise du Coronavirus, au plus tard début 2021 et le gouvernement avait fait voter en urgence un salaire universel et un tas de prestations sociales qui garantissaient aux enfants et à toute la famille une vie digne, voire confortable. En échange de quoi on leur demandait d’être des citoyens au sens civique exemplaire et de suivre les préconisations sanitaires sans la moindre exception.

Dans le fond, c’était plutôt bien ! Pensa-t-elle en souriant. Plus d’horaires débiles au bureau, le temps d’élever les gosses et la garantie de pouvoir suivre elle-même leur scolarité désormais à mi-temps pour limiter le remplissage des classes.

Cela faisait maintenant 9 mois qu’était passé le décret mondial pour la protection de la terre et des hommes. A cette occasion, même Israël et la Palestine avaient fini par se mettre d’accord et tous avaient enterré la hache de guerre, « Shalom » chantait-on aux fenêtres illuminées pour le 31 Décembre. « Shalom » répéta le Président en fixant les dernières statistiques démographiques.

– Où en sommes-nous ?
Le directeur du Renseignement Extérieur mordilla nerveusement son bic
– 7,9 milliards. Aucune évolution.
– Le vaccin n’a pas tenu l’ombre d’une promesse ?
– Non Monsieur le Président, ils vont tous bien, se reproduisent comme des lapins et quoi que nous fassions, ils vivent ! Ils vivent vieux, ils vivent bien et ne risquent pas de mourir d’usure vu qu’ils ne foutent rien
– A combien se monte la population active réelle chez nous ?
– 12% d’actifs en équivalent temps plein réduit, soit à 29 heures par semaine et 7 semaines de congés, exceptés chez les agro-industriels qui commencent à avoir de vrais problèmes sociaux avec leurs travailleurs
– Y’a pas moyen de les faire taire ceux-là ?
– Non, ils viennent juste de comprendre que nous avons besoin d’eux
– Préparez l’opération « Terre Saine » et demandez à nos voisins où ils en sont
– Ça c’est fait : tous envisagent « Terre Saine »

De son côté – loin de Paris – Jean graissa généreusement son glock 17 avant de le ranger et de faire la tournée des stocks, comme toutes les semaines. Survivaliste de la première heure, il croyait dur comme fer que la société était cuite. Elise le suivait mollement, le laissant « s’amuser » comme elle disait et « délirer » avec ses potes, subissant sans trop râler les achats répétés de matériel « au cas où », depuis la radio à manivelle jusqu’au filtre à eau en passant par les sacs à dos qui n’avaient finalement pas beaucoup servi. Quant aux enfants, Laurette 12 ans et Jules 14 ans, ça les faisait bien rire… Jean remonta au Salon et prépara l’apéro pendant qu’Elise expliquait au téléphone à sa meilleure amie qu’ils allaient partir 8 jours aux Baléares l’été prochain. Au fond, rien n’avait changé. L’état payait, les Français vivaient comme avant, un masque sur le museau et la gestion par intelligence artificielle du plateau santé.

Parlons-en du plateau santé ! Jean ne décolérait pas de voir toute la famille adhérer comme un seul homme à pas moins de 20 mesures totalement liberticides, sensées garantir leur sécurité sanitaire et le parfait suivi de leurs dossiers médicaux, désormais pris en charge à 100 %, dents et yeux compris. Le tout gratuit, Jean n’y croyait pas, il pensait, comme son père avant lui, que lorsque c’est gratuit, c’est que c’est toi le produit. Reconnaissance faciale et émotionnelle, prise de température, traçage complété par des applications non obligatoires mais qui donnaient accès à tous les loisirs – restau, parcs d’attraction, salles de sports, associations, club de tir, etc. – Plus rien à payer à condition de signer l’adhésion au plan santé et d’en respecter les petites lignes. « C’est mieux pour les enfants » avait conclu Elise. Entre marginalité et soumission, 99.56 % de la population Française avait adhéré.

Puis la vie avait repris son cours, entre coronavirus, peste pulmonaire aux States et bubonique en Russie. Tous avaient oublié. Oublié que quelque part, dans un centre de traitement ultra sécurisé, en Australie, une machine sans âme et sans à priori, gérait la vie de plus de 7 milliards d’humains polluant, mangeant et déféquant à chaque instant.

Désormais, le « 20h00 » était devenu incontournable, journal national égrenant sobrement comme un oiseau, le condensé de l’Agence Française de Presse, lui-même validé directement par les services de communication de l’Elysée, où un jeune énarque aussi frais que la poudre qu’il sniffait, tentait de penser à la place des citoyens qu’il méprisait. C’est en se remémorant le parcours chaotique de l’année 2020 que Jean, Elise et leurs amis prirent place dans les fauteuils, verre à la main, pour écouter ce nouveau monument de propagande à la grâce de Jupiter ! Jean pensa par devers lui qu’on les prenait vraiment pour des cons, mais même avec ses amis et sa famille, il avait appris à se taire, qu’en penserait Elise ? Qu’en penserait-on au club ?

– Passe-moi la bouteille ! Lança Elise à son homme en laissant ses yeux rivés sur l’écran.

Face à eux, le visage souriant du jeune Président s’afficha sur fond d’Elysée, fenêtre, jardin, drapeau et regard qui semblait adressé à chacun en privé, comme si « chacun » était finalement important. Le Président ajusta d’un geste à peine nerveux sa cravate et ouvrit ses deux mains face à la caméra avant de les refermer comme sur une proie qu’il pétrissait en se raclant la gorge : il allait parler, mais ce n’était pas prévu ! Presque 70 millions de Français sur une cinquantaine de chaînes privées ou publiques l’écoutaient comme le Chrétien écoute le sermon du père ou le Musulman entend l’appel à la prière. « Chacun » savait reconnaître, dans ce rituel désormais bien rodé, que l’instant était grave.

« Chers citoyens du monde – cette expression ayant remplacé depuis plusieurs mois celle, bien connue de Français, Françaises – Nous avons su, face à ce redoutable adversaire qu’est le coronavirus, faire preuve de courage, de loyauté envers les nôtres, de force d’acceptation et d’adaptation au nouveau Monde ! C’est avec humilité que le berger que je veux être, vous remercie et vous demande de l’accompagner pour de nouveaux challenges et surtout pour la reconstruction d’une société neuve que nous offrirons à nos enfants ! Vous n’êtes pas sans savoir que toute l’industrie alimentaire qui vous nourrit, manque de bras et de forces vives. Par ailleurs, nous avons le devoir, que dis-je : l’obligation absolue ! De nettoyer notre terre et de la faire respirer. Aussi, ai-je la fierté, l’immense joie de vous annoncer la création de nos nouvelles bases agricoles souterraines. Nos chercheurs ont créé 450 000 hectares dans tous les pays du monde. A l’abri de la pollution, à l’abri du changement climatique, à l’abri des insectes ravageurs ! Pendant que 450 000 hectares de terre fatiguée par nos cultures intensives se reposeront et feront l’objet de tous les soins pour devenir de futurs lieux de repos ou de protection des espèces rares, faune et flore comprises. Je sais qu’à cet instant même vous êtes surpris ! Comment cela a-t-il pu être fait sans que nous le sachions, qui a payé ? Mais de fabuleux mécènes ont offert toute leur fortune pour bénir ce projet que nous avons appelé « terre saine », et si tout a été fait dans l’ombre, ce n’est pas pour vous priver d’une information capitale, mais pour préparer ce qui est pour nous un véritable cadeau de nouvel an ! »

Le Président souffla, repris sa respiration pendant que l’on voyait, dans le reflet de sa fenêtre, l’agitation des caméramans. Il jouait l’euphorie, les épaules droites et le regard joyeux, mais ses bras et ses mains cherchaient à passer sous le bureau, en esquissant un drôle de pas de danse entre ouverture et fuite. Il nous raconte quoi – pensa Jean ? Le Président reprit avec emphase :

« 25.000 citoyens du monde (pour la France), tout à fait exemplaires, auront la chance d’intégrer ce projet afin de le soutenir et le faire grandir. Vous êtes des millions, mais notre base de données travaillera, grâce à des algorithmes, pour déterminer qui est le plus apte, en meilleure santé, ou avec les bonnes compétences, pour faire partie des hommes qui laisseront leur nom dans l’Histoire. Je sais que déjà les mains se lèvent et se portent volontaires, je sais que déjà vous vous demandez qui ? Alors nous avons choisi de ne pas vous frustrer plus après ces mois d’exigence. A l’heure où je vous parle, les 25.000 noms sont sortis des urnes de l’espoir ! Ils ont plus de 50 ans – pour leur expérience et leur sagesse – ils sont libres de toute obligation professionnelle – En couple, leurs enfants verront leurs études payées jusqu’au niveau Master 2, pendant qu’ils servent le pays. Leur épouse les accompagnera à 2 semaines d’intervalle afin que le nid soit prêt : appartement de 3 pièces entièrement meublé et doté de tout le confort de la domotique moderne, accès à tous les loisirs, y compris piscine chauffée et pistes de ski, salles de cinéma et gouvernante pour les célibataires. Nous allons maintenant vous passer une vidéo de nos nouveaux centres de l’espoir. »

Le Président disparut et une charmante journaliste à l’entrée de ce qui ressemblait à un bunker prit la suite, micro en main, largement entourée par une équipe de militaires qui avaient plutôt l’air de préparer Bagdad. Voiturette, ascenseur et visite guidée dans ce qui ressemblait à un paradis terrestre. Tout était luxueux, le détail soigné, couvert par un ciel artificiel, mais toujours bleu. Les appartements donnaient, via des fenêtres fantômes, sur des paysages magnifiques qui faisaient s’alterner régulièrement le jour et la nuit dans un monde où cela n’existait absolument pas. Verres sortis, table fine, bouteille de bourbon posée là… les tables sentaient bon la convivialité d’autrefois. C’était juste l’endroit le plus merveilleux du monde et le club Med pouvait passer pour un clapier à côté du luxe affiché ostensiblement par l’appartement témoin.

Puis il reprit la parole

« Je vous sais impatient, heureux, tout comme moi. Nos rêves les plus fous vont prendre forme, la vie recommence et je peux dire aujourd’hui que si le Coronavirus nous a permis de prendre conscience de notre Terre et de créer le nouveau Monde, il faut alors presque remercier le Pangolin de circonstance. J’ai également l’immense honneur de vous annoncer que notre nouveau vaccin efficace à 100 % est opérationnel, il s’agit donc de la fin de la distanciation sociale pour tous les vaccinés ! »

Aussitôt il se leva et embrassa ses proches collaborateurs, dans une véritable débauche de câlins politiques tandis que les caméramans, en pleurs, prenaient la main du premier costumé disponible, pour la lui serrer compulsivement.

« Vous recevrez, dès demain, via la préfecture, puis vos mairies, votre affectation si vous êtes choisi pour vivre et faire vivre l’opération « Terre Saine ». Sur place, une liaison sans fil par ondes 6G vous permettra de communiquer avec vos proches autant que vous le souhaitez. Vos congés mensuels vous permettront de rendre visite à vos enfants que vous rejoindrez en fin de contrat au terme duquel vous bénéficierez d’un habitat neuf dans l’une des zones rénovées »

« Vive la Terre, Vive les Français »

Le sourire larmoyant, le Président se leva et continua de serrer quelques mains avant de disparaître de l’écran pour laisser la place à un présentateur ravi sur fond de Tour Eiffel qui clignotait comme un sapin de Noël en affichant fièrement « Terre Saine ».

Le Président repartit, suivi par son staff avant de grimper avec légèreté dans une voiture banalisée. A sa suite le patron des renseignements et, plus sobre encore, le premier ministre qui grattait sa barbichette et faisait des moulinets avec son doigt dans son nez… Malpropre, mais nerveux !

– Combien pour la première étape ?
– 3 millions soigneusement répartis sur toute la planète, chacun doit avoir le sentiment qu’il a été choisi.
– Et ensuite ?
– 1,5 milliards d’individus sur les 6 prochains mois, le double sur les 2 prochaines années
– Avec des algorithmes identiques ?
– Non Monsieur ! D’abord les 50/60, puis l’ouverture aux plus de 60, puis les pathologies. Sont exclus les jeunes en parfaite santé, mais nous intégrons les handicapés en commençant par leurs parents et en proposant qu’ils les rejoignent.
– C’est parfait. Nous n’avons de toute façon pas le choix. Nos réserves alimentaires sont à quel niveau ?
– L’Afrique ne sera plus complémentée à partir de Juin prochain et les migrations climatiques sont prévues à partir de la future rentrée de Septembre.
– Combien ?
– Rien que pour la France, 27 millions de migrants. Dont 87 % de musulmans, 7 % d’intégristes toutes religions confondues, 13 % de jeunes réduits à la délinquance et 23 % de malades contagieux dont 3 % porteurs de BMR
– BMR ?
– Bactéries Multi Résistantes…
– Et pour eux, comment avance le plan ?
– Intégration directe dans le projet Terre Saine.
– Nous sommes en mesure de traiter un tel volume ?
– Oui Monsieur – Dès l’arrivée ils seront triés : aptes à travailler, malades ou inaptes, mais avec des organes sains. Seuls 8 % seront employés.
– Cela se fera-t-il sans souffrance ?
– J’ai demandé aux services Russes, qui ont pondu le programme dit d’insertion, de m’envoyer le protocole. Ils ont été vraiment excellents. A l’arrivée, après le tri sur dossier médical, les familles ne seront pas séparées, mais tous les sujets recevront un traitement neuroleptique capable de rendre heureux un condamné à la chaise électrique. C’est à ce moment que l’on prélèvera, pour chaque filière, les travailleurs, ou le reste. Dans un second temps, ils recevront une injection létale à effet retard, le temps de les acheminer vers une salle de repos où ils se coucheront eux-mêmes dans un cercueil baptisé régénérateur. Il suffira de les incinérer.
– On leur fait le coup du régénérateur façon science-fiction ?
– Oui, les stresser ne présente aucun intérêt. D’ailleurs, l’opération bien rythmée permet de traiter, sur les 200 bases, environ 200 000 adultes ou jeunes handicapés par jour.
– Et comment les a-t-on choisi ?
– Le plan Arc en Ciel, les Australiens ont été très coopératifs et ont fourni toutes les données collectées depuis 12 ans.
– Espérons qu’on n’exécute pas les scientifiques dont nous allons avoir besoin…
– Nous avons intégré un petit questionnaire papier, pour de vrai, afin de récupérer in extremis un sujet arrivé là par erreur
– Ah bien… A-t-on évalué le temps de réaction de la population ?
– 3 semaines. Ce qui provoquera la seconde vague de sélection et ainsi de suite.
– le monde n’a de toute façon plus le temps de patienter
Le Président se renferma avec une moue songeuse. Lui et les 53 dirigeants du Monde de demain allaient se livrer à un monstrueux génocide pour sauver la Terre. Qu’en penseraient ses petits-enfants ?

Face à son téléviseur, Jean tremblait. Autour de lui, dans le salon, le ton montait joyeusement, Elise rêvait, les copains parlaient de monter un super club de tir avec cibles mobiles en 3D. Il débarrassa la table de l’apéro et ferma la télé, non sans demander la permission à Elise. Puis la conversation fila bon train tard dans la nuit, pendant que les enfants, attirés par ce brouhaha, n’en rataient pas une miette en planque dans le couloir.

Ils se couchèrent, comme plusieurs milliards d’êtres humains, pleins d’espoir ou de craintes, d’en être ou pas, à moins que ça ne soit l’inverse. Tout au rêve de vivre pour soi le monde de demain et de faire partie de ces privilégiés qui seraient reconnus et bénis des générations futures.

Elise se réveilla la première, tirée du lit par le bruit des enfants qui se battaient. Depuis la semi disparition de l’école, non seulement ils ne faisaient plus grand-chose, mais ils se battaient pour un rien. Le train-train reprenait : douche, café, tartines, puis Yoga pour elle et jardin pour Jean.

Jean secoua le tube de dentifrice et regarda Elise dans le miroir, par-dessus son épaule. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas envisagé de la perdre. A cet instant précis, il réalisa qu’ils n’avaient plus vraiment les mêmes objectifs : elle, sa vie dite « normale », à chaque jour ; lui, son éternel plan de survie en bandoulière. Il se rinça la bouche et la rejoint au café pour leurs quelques dix minutes d’intimité avant que les enfants ne débarquent.
– Ne me dis pas que tu y crois ?
– Et toi ne me dis pas, encore une fois, que c’est je ne sais quelle conspiration !
– Non mais tu penses vraiment qu’ils vont sauver le monde ?
– Et pourquoi pas ?
– Parce que depuis le temps qu’on a les technologies nécessaires, ils n’ont encore jamais créé je ne sais quel foutu projet visant à épargner la planète et tous ses habitants
– Tu es vraiment un conspirationniste !
– Non, je suis juste logique. Et puis les plus de 50 ans, c’est quoi cette blague ?
– Ce sont les plus expérimentés
– Ah oui, ou ceux qui n’auront plus jamais de travail
– Tu me fatigues !
Elise claqua son bol contre le bois de la table et se leva avec nervosité. Puis elle fila répondre à son téléphone.
– C’est toi, c’est toi Chéri ! La Mairie vient d’appeler, tu as été choisi !
– Non, ce n’est pas vrai, c’est une plaisanterie du Maire, tu sais comme il est blagueur
– Il n’avait pas du tout l’air de plaisanter, tu as 2 heures pour préparer tes affaires avec ta carte d’identité numérique. Un véhicule militaire passera te prendre.
Elise baissa le ton et se mit à pleurer. Jamais Elise n’avait envisagé de quitter ses parents qui habitaient de l’autre côté du village. Jean la prit dans ses bras et la serra tendrement.
– Et si on refusait hein ? Jean avait pris une toute petite voix. Il se voulait rassurant.
– Ils disent que ce n’est pas possible, c’est 6 mois de prison ferme et 45.000 euros d’amende pour désertion
– Tu as déjà regardé ?
– Non, c’est le Maire qui vient de me le dire, lui aussi il a un peu peur
– Ecoute, je te propose de partir, là tout de suite, on prend les gosses et on s’en va, je fais les sacs, la bouffe est prête, on se tire
Elise éclata en sanglots. C’était vraiment une catastrophe,  elle ne pourrait plus jamais vivre normalement et voir sa mère, prendre le café chez sa tante à qui elle raconte tout depuis tout le temps.
– Tu sais, pour le vaccin aussi tu avais dit que c’était grave, et il ne s’est rien passé ! Elise sécha ses larmes, pleine d’un énorme espoir.
– Oui, c’est vrai. Mais là, tu ne vas plus voir tes enfants. C’est vraiment ce que tu veux ?
– Non non, ce n’est juste pas possible, je te suis. Et sa voix s’était raffermie.
– Aller, je prépare les sacs et on se tire
– Mais on va où ?
– J’ai tout prévu, tu n’as qu’à me faire confiance, nous partons en petite montagne, à pied et sans nos papiers, il faudra laisser nos portables, pour ne pas être tracés
– C’est de la folie, je vis un cauchemar
– Non ma chérie, c’est la sinistre réalité. Tu vois bien qu’ils payent les gens à rien foutre depuis plus de 1 an, tu crois vraiment qu’ils allaient continuer comme ça ?
– Non, tu as sans doute raison, mais je ne réalise pas. Et que vont dire les enfants sans leurs portables, sans netflix ?
– Ils s’y feront.
– Ca va être l’horreur, ils vont se battre encore plus et perdront toute chance social et professionnelle
– Parce que tu crois vraiment qu’ils ont une chance dans ce monde où il n’y a plus de travail ni d’école
– Je sais. Je veux juste vivre comme avant.
– Ah ! Tu aimais ça, ta conne de chef qui te harcelait et tes horaires à la con ?
– Non plus.
– Tu passais toute l’année sous Prozac
– Oui, inutile de me rabaisser
– Je ne te rabaisse pas, ce rythme : métro/boulot/dodo, c’était juste insupportable. Je file, nous n’avons que très peu de temps, on filera d’abord en voiture, puis nous la laisserons à Saint-Jean d’Esturgette avant de prendre la verte pour rejoindre le chalet, fais les bagages des petits
– Je prends quoi ?
– Bah comme si on partait en vacances : ils savent pour moi ?
– Non
– Dis leur qu’on part en vacances et tu leurs prendras les portables sans leur dire. Sinon ça va être la guerre.

Elise et Jean avaient cessé de craindre, cessé de perdre leur salive. Chacun était parti dans ses quartiers pour préparer ce qui avait toujours été convenu tacitement : préserver la famille en toutes circonstances.

Jean gava les sacs. 7 kilos pour les enfants, 12 pour Elise, 17 pour lui. Le glock et ses munitions, le FAP déjà dans le coffre de la voiture, la radio, la pharmacie, les rations pour 15 jours en déshydraté. On verrait le reste sur place où il y avait les vieux stocks … déjà prévus, avec les couvertures, le puit, le poêle à bois.

Dehors, dans le village, l’ambiance était animée. Le Maire avait préparé un petit discours de départ pour Jean, les gens se réunissaient. Chacun d’envisager les choses sous son angle bien à lui, parfois envieux, parfois soulagé. Souvent soulagé en fait.

De son côté, le Président de la République songea que vraiment, le service de comm avait raison, les nouvelles surprenantes passent toujours mieux. Il aurait du s’en souvenir, lui qui avait confiné 67 millions de Français en 48 heures. En Russie il avait été convenu de garder les petites industries et même les petits agriculteurs, qui avaient disparu en Europe. Aux USA, le Président avait exigé que l’on refasse tout l’extérieur des camps de la FEMA, disparus les barbelés et les cercueils, place à de superbes murs en brique surmontés de pots fleuris bordurés par un courant alternatif à 220 Volts dans un câble peu visible : les chacals ne passeraient pas, les hommes seraient en sécurité.

Elise et Jean Chargèrent la voiture et Jean fila chercher les enfants. A la porte d’entrée, un homme en treillis. Jules virevolta vers son père et lui sauta au coup. « Je ne vais pas te voir avant un moment » dit-il. Le militaire tendit la main. « Je suppose que vous êtes Jean ».

Jean pensa qu’il lui avait manqué 30 minutes. Pourquoi n’avait-il pas stocké du temps ?
– Ma femme et moi sommes en train de divorcer
– Donc vous partez seul pour la grande aventure ?
– Tout à fait ! Répondit Jean avec un large sourire – Je vais chercher mes papiers et j’arrive
– J’ai cru comprendre que votre femme partait en voyage ?
– Oui, elle va vivre chez sa tante, c’est mieux ainsi et c’est ce qui était convenu.

L’homme en treillis se décontracta et ré-afficha un vrai sourire. Elise se crispa et retint ses larmes. Combien de stations pour cette route-là ?

31 Décembre 2022

– Tu as du avoir la frayeur de ta vie Oncle Jean ?
– Jean remua la braise et relança le vieux poêle
– Oui, j’ai eu très peur, peur de la mort, la vraie, dans la solitude …..
– Qu’est-ce qui t’a poussé à t’en sortir ?
– L’amour, l’amour de mes enfants, l’amour de ma femme
– Tu ne m’as jamais raconté comment tu avais fait ?
– Oh ce fut presque simple. Les militaires n’étaient pas préparé à ce que qui que ce soit tente d’échapper au projet. Je suis donc resté joyeux, même avec le cœur lourd, mais je n’ai pas oublié ce que m’avait dit mon arrière-grand-père : « un prisonnier ne doit jamais renoncer à s’évader ». Je savais qu’une fois au camp – sous terre, dans la base – il serait impossible d’en sortir. J’ai donc profité des pauses repas/hygiène sur le chemin, nous formions des mini camps très encadrés avec périmètre de sécurité, mais personne ne songeait que qui que ce soit allait se tirer. Un soir, je suis parti me coucher avec mon colocataire de tente et j’ai attendu qu’il dorme. Puis je suis sorti discuter avec les soldats qui étaient en faction. L’ambiance était plutôt cool ; officiellement c’était un très beau projet. J’avais repéré que les clefs des véhicules étaient accrochées dans la tente d’intendance, je savais qu’ils buvaient un café chaque soir vers 23h00 – tu sais, c’est très important l’observation – Un bref instant, quelques secondes, peut-être 3. J’ai pris les clefs et je leur ai dit que j’allais me coucher. Il y avait fort peu de mesures de sécurité : toujours cette fichue manie de nous prendre pour des imbéciles qui allaient partir pour l’abattoir en chantant. Je suis passé sous ma tente, j’ai rampé jusqu’à la voiture et là je n’ai même pas cherché à faire discret, j’ai foncé, foncé et défoncé la barrière d’accès mobile, roulé peut-être 500 mètres et sauté de la voiture en bloquant l’accélérateur pour me donner quelques minutes. Puis je suis retourné à côté du camp : car c’était le dernier endroit où ils allaient me chercher. Et j’ai attendu. Des heures. Les heures les plus longues de ma vie. J’ai entendu les aboiements des gradés et même le commandant qui commentait les ordres de Paris : « on le retrouvera, ce n’est pas si grave, nous avons ordre de ne pas faire d’étincelle ». Puis je suis parti à pieds.
– Et Tante Elise ?
– Tante Elise savait qu’elle devait rejoindre le chalet !
– Tu as marché combien de temps ?
– J’ai marché 13 jours à raison de 35 kilomètres par jour environ. Heureusement, comme nous passions prendre les uns et les autres, nous allions très lentement. En 3 jours j’aurais pu être très loin.
– Tu as eu de la chance !
– Il faut toujours une part de chance.

Jules entra avec du bois plein les mains. Depuis une douzaine de mois, il n’avait plus jamais embrassé son père. Mais il avait pris la vie à bras le corps.

Publié par Pierre Templar pour Survivre au Chaos


2 comments