Richard Black : l’immoralité criminelle des sanctions, le cas de la Syrie
Source Solidarité et Progrès
Intervention lors de la visioconférence de l’Institut Schiller du 8 mai 2021, du colonel (cr) Richard Black, ancien sénateur d’État de la Virginie occidentale et ancien chef de la division criminelle du Pentagone.
Transcription :
Je suis le sénateur Dick Black. Tout d’abord, permettez-moi de me présenter.
J’ai servi 32 ans dans l’armée ; j’ai combattu au Vietnam en tant qu’officier du corps des Marines. J’ai volé en zone de combat en tant que pilote d’hélicoptère et j’ai été touché par des tirs ennemis à quatre reprises. J’ai ensuite combattu au sol dans certains des combats les plus féroces de cette guerre. J’ai été blessé, mes deux aides « radio » ont été tués au combat, à mes côtés. C’est donc en tant que patriote américain que je viens vous parler ici. J’ai versé beaucoup de sang pour ce pays. Je veux que mon pays réussisse, mais je veux aussi qu’il soit bon et décent.
Je vais récapituler pour vous l’engagement américain dans la guerre en Syrie. 2011, c’est l’année où la guerre a commencé. Elle dure maintenant depuis 10 ans. Avant qu’elle ne se transforme en guerre à part entière, il y a eu des protestations populaires contre le régime.
La CIA envoya alors des agents du Centre d’opérations spéciales, qui entrèrent subrepticement sur le territoire souverain de la Syrie, au mépris de toutes les lois internationales. Leur mission était de diriger l’action des terroristes liés à Al-Qaïda pour renverser le gouvernement syrien.
N’oubliez pas que c’est Al-Qaïda qui a lancé les avions contre les tours jumelles du World Trade Center et le Pentagone, le 11 septembre 2001, tuant 3000 Américains dans la plus grande attaque terroriste de notre histoire.
Ce sont ces gens que la CIA organisait et commandait. Ils ont récupéré des armes de l’attaque américaine contre la Libye, qui furent acheminées de l’autre côté de la frontière, en Syrie, pour être utilisées dans une campagne délibérée et massive de viols de femmes et d’enfants. Il y eut des décapitations et des crucifixions. Des chrétiens furent littéralement cloués sur des croix. Tout cela s’est fait à l’instigation de la CIA, grâce à son financement, sa structure et son contrôle sur Al-Qaïda.
Dans le même temps, les terroristes d’Al-Qaïda ouvrirent, en certains endroits, des marchés pour y vendre des femmes et des enfants chrétiens et yézidis réduits en esclavage. Ils ont même publié des barèmes de prix, les plus élevés s’appliquant aux fillettes les plus jeunes. C’était le désir de ces terroristes de violer des petites filles. Et tout cela, hélas, avec le soutien, les armes et l’organisation fournis par les États-Unis.
En dépit de ce que nous avons fait, malgré les forces considérables mobilisées contre le régime pour le renverser, le peuple syrien rejeta l’islam wahhabite radical et se rallia à son président et à l’armée. Ils chassèrent les terroristes de la plus grande partie de la Syrie. En 2014, des élections nationales furent organisées, et le président Bachar el-Assad fut réélu à une écrasante majorité, lors d’un scrutin libre et équitable auquel ont participé les 3/4 des électeurs. Cette élection fut vérifiée par plus de 30 pays et je pense que presque tout le monde était d’accord pour dire qu’effectivement, c’était une élection complète et équitable. Il a donc remporté l’élection.
En 2015, la guerre commença à mal tourner pour les terroristes. En 2016, Al-Qaïda subit sa plus grande défaite dans la ville industrielle d’Alep. Cela ressemblait beaucoup à la défaite de Stalingrad qui marqua la fin de l’armée nazie lors de la Seconde Guerre mondiale. La perte d’Alep fut une défaite retentissante et écrasante pour Al-Qaïda et pour les forces états-uniennes qui avaient orchestré ce mouvement contre le peuple syrien.
En 2015, par frustration face à l’échec des terroristes à s’emparer du pays, le secrétaire d’État John Kerry annonça que nous allions déployer un « plan B ». Ce qu’il a dit était très vague, mais les faits contredisent toutes les promesses de Barack Obama qu’il n’y aurait jamais, de la part des Etats-Unis, d’engagement terrestre en Syrie.
Aussitôt, les États-Unis commencèrent à envoyer des troupes sur le terrain, et nous avons pris le contrôle du nord de la Syrie au détriment du gouvernement en place. C’était particulièrement important parce que cette région est le grenier à blé du pays. Elle lui fournit également le pétrole et le gaz naturel.
C’est ainsi que les ressources de la Syrie, sur lesquelles tous les habitants comptent pour leur nourriture et leur carburant, leur furent volées. Les États-Unis autorisèrent une entreprise américaine à construire une raffinerie de 150 millions de dollars et à effectuer des forages dans le nord de la Syrie pour piller son pétrole et son gaz naturel. L’objectif de tout cela était d’affamer le peuple syrien et de le faire mourir de froid en hiver.
Nous avons ensuite promulgué ce que l’on appelle les « sanctions César ». Mike Pompeo, qui était le secrétaire d’État à l’époque, annonça des mesures de pression maximale. Les États-Unis avaient trouvé un moyen pour que, même si le droit international déclare illégal d’imposer un blocus à une nation et de l’empêcher de recevoir des fournitures, à moins d’être en guerre, nous puissions passer outre.
Tout d’abord, ignorant les lois régissant les blocus, on mit en place un blocus naval. Mais au-delà, on découvrit qu’en prenant le contrôle du système bancaire qui facilite les transactions en Syrie, on pouvait effectivement l’empêcher de recevoir des fournitures médicales.« La Syrie d’Assad commence à mourir comme l’Irak de Saddam » article de Foreign Policy.
Je le sais, car lors de ma visite en 2016, j’ai vu des femmes mourir du cancer du sein parce qu’elles n’avaient pas accès aux médicaments de base qui auraient pu leur sauver la vie. Nous avons agi ainsi délibérément afin de créer un intense sentiment de souffrance et de désespoir.
Aujourd’hui, les gens font la queue pour un morceau de pain. Le Congrès a adopté les fameuses sanctions César, des sanctions extrêmement dures qui ont entraîné pénuries et misère. Une famine à grande échelle se répand en Syrie, les gens mouraient de froid cet hiver. Aujourd’hui, ces gens sont morts, ils ont disparu. Maintenant, la famine s’installe. C’est la principale arme utilisée par les États-Unis.
En juin dernier, une tribune libre est parue dans Politico, d’un certain Charles Lister, appelant au renversement du gouvernement syrien. L’auteur explique qu’avec la mise en œuvre des sanctions César, la misère, la famine, la criminalité et les comportements prédateurs vont encore augmenter. Et il déclare allègrement que c’est une bonne occasion pour les États-Unis d’obtenir un changement de régime en Syrie !
Je dois vous dire que je ne suis pas fier que mon pays ait créé des pénuries alimentaires, provoqué la misère et la famine, et fait mourir des enfants et des vieillards. Vous savez, la Syrie était un pays très moral, un peuple très moral, décent, indulgent, aimant. Ce sont des gens très bienveillants. Maintenant, nous forçons leurs enfants à se prostituer pour un morceau de pain afin de ne pas mourir de faim dans la rue. Ce n’est pas une chose dont l’Amérique devrait être fière, c’est ignoble.
Selon le Los Angeles Times, les sanctions ont été particulièrement sévères en ce qui concerne les fournitures médicales, rendant les médicaments pour la chimiothérapie de plus en plus difficiles à obtenir. Le Financial Times du 24 juin 2020 rapportait que le premier impact de la loi César a frappé non pas les proches du régime, mais les paysans syriens lambda, qui ont vu leur monnaie dévaluée, les prix s’envoler et les files d’attente se former devant les boulangeries.
C’est nous qui en sommes responsables, nous qui provoquons délibérément une famine de masse. Ce sont des choses dont nous avons accusé les nazis lors des procès de Nuremberg, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si c’était un crime pour les nazis de faire cela, ça l’est aussi pour nous. C’est ignoble, c’est méprisable. L’idée d’avoir utilisé le viol de masse comme arme de guerre est tout simplement répugnante.
Je n’aurais jamais participé ni lancé personnellement une telle action. J’ai déclaré un jour que si j’avais été présent lors du massacre de My Lai [1], au Vietnam, j’aurais pris mon fusil et j’aurais abattu le commandant de la compagnie qui en avait donné l’ordre. Je pense que ce que nous faisons ici est bien pire que le massacre de My Lai. C’est un massacre à l’échelle nationale, c’est dégoûtant, c’est odieux.
Il est temps que le peuple américain découvre ce qui se passe, découvre notre alliance étroite avec Al-Qaïda et y mette un terme.
Merci.
Visionner l’ensemble de la conférence sur le site de l’Institut Schiller.
[1] Le 16 mars 1968, pendant la guerre du Vietnam, l’armée de terre américaine massacra près de 500 civils, hommes, femmes, enfants et nourrissons, dans le village de My Lai. Des femmes furent violées en groupe et leurs corps mutilés.
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